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UNE FAMILLE COMME IL Y EN A PEU

sant l’occasion offerte. Ce paysan est, à mes yeux, bien plus instructif que cent tomes de nos savants allemands qui ne savent rien de plus de la vie qu’un petit poulet dans sa coquille. Il te représente la nature humaine. Tant qu’il a supposé qu’on lui achèterait quelque chose, il a été humble, amical au possible ; il a même caressé votre chien, et, certes, pas sans intention. Mais à peine voit-il qu’il ne peut rien vendre, il se couvre le chef de sa casquette et le voilà parti, sans même dire adieu. Avec des créatures comme celles-là, à quoi veux-tu que te mène ton idéalisme ?

— Tu sais que je suis pessimiste.

— Eh ! oui, en théorie. Tu es partisan de Schopenhauer, parce que ton intelligence le dit que l’optimisme est absurde ; mais que tu te trouves en face d’un fait ou d’un homme, ton intelligence se tait, ta philosophie se tait ; il n’y a plus que ton cœur faible et fou qui parle.

Andor sourit, comme s’il eût voulu dire :

« Tu as raison ; mais, que veux-tu ? je ne saurais changer. »

— Tu me préoccupes souvent, continua Plant. À chaque instant, tu cours donner de la tête, en aveugle, contre les coins de rue et tu en rapportes des noirs. Moi, je suis tout autrement. Je méprise le sentiment. Mon principe est que « en ce