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NOUS AVIONS MIS SUR PIED SEIZE BANNIERES

point l’homme de nos jours qui ne peut s’abandonner à aucun sentiment, à aucun plaisir, qui arrache lui-même les plumes aux ailes de sa joie !

— Alors je suis étonné de vous avoir vue, ce soir, pour la première fois.

— Qui sait ? Nous nous sommes peut-être déjà rencontrés.

— Oh ! quand une fois l’on a vu une personne comme vous, mademoiselle, on ne l’oublie plus jamais.

L’inconnue sourit. Plant se mord les lèvres. Il donnerait n’importe quoi pour être spirituel plus que de coutume, pour en imposer à cette jeune fille ; mais il sent que cela ne sera pas.

En vain fait-il appel au ciel et à la terre, en vain parle-t-il théâtre, Schiller, princesse Paula, toilette de la comtesse Bärnburg, sermon du moine Hasfege ; en vain en arrive-t-il à Dieu, l’immortalité, la Révolution française, Bockbier, Hégel, Gansélès lui-même et à peu près tout ce dont un Allemand moderne parle en semblable occasion, ce qu’il dit pèche et à ses yeux principalement.

Il est on ne peut plus mécontent de lui.

La naïveté lui manque pour comprendre cette vérité aussi simple qu’immortelle : que, aux yeux de sa compagne, ce qui aura le plus d’importance, ce ne sera ni son esprit, ni son savoir, ni ses