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LES PRUSSIENS D’AUJOURD’HUI

Hanna regarda Micheline avec surprise. En entendant ce nom jadis si cher, elle n’était devenue ni pâle ni rouge ; mais elle semblait très-étonnée.

— Notre époque est très-matérialiste, répondit-elle après un moment de silence, et l’un de ses vilains traits caractéristiques est de mépriser tout ce qui ne se pèse pas, ne se compte pas.

— Encore bien parlé ! fit Micheline avec moquerie.

— Ce trait est frappant dans toutes les sphères, dans toutes les classes ; partout on le retrouve marqué, chez l’homme d’État, le général, le savant et l’artiste. Chacun s’incline devant le succès et se rit du bel idéal caressé jadis. Dans ce tourbillon où les intérêts les plus opposés, les passions les plus folles luttent en paroles grossières les uns contre les autres, c’est à peine si quelques individualités restent debout. Le plus grand nombre est renversé et traîne dans une boue infecte qui monte, monte ainsi que les eaux du déluge et menace de tout engloutir.

— Dans quel livre as-tu pris cela ? interrogea Micheline se levant lentement et venant se mirer dans la glace.

— Mais ce sort ne saurait être le même pour tous, continua Hanna sans prendre garde aux