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PARISIENS DE TOUTE SORTE

— Si vous voulez me guérir, répondit Andor, il faudra avant tout me changer. Tel que je suis, il s’écoulera du temps avant que je surmonte la douleur qui m’étreint comme avec des griffes de vautour. Ne me croyez pas sentimental ou faible de caractère. Je n’ai jamais envisagé avec plus de tranquillité que maintenant la fausseté, le côté maladif de ces sentiments qui ont amené au dégoût du monde les esprits les plus remarquables, les hommes qui, comme Heine, par suite d’un amour de jeunesse non payé de retour, ou comme Musset, à cause de l’infidélité d’une femme adorée, déprécient leur caractère, empoisonnent la source de leur vie, assombrissent leur esprit, n’ont enduré que des souffrances imaginaires auxquelles ils ont attribué la faute que leur a fait commettre la faiblesse, la maladie, la décadence native de tout leur être.

» Comme mari de son Ottilie et au berceau des enfants qu’elle lui aurait donnés, Heine eût été ce même homme que nous avons connu, avec sa blessure au cœur toujours saignante, son bonnet de fou aux grelots tintants ; et George Sand serait restée fidèle à Musset, qu’il eût tout de même vu le monde de son œil trouble, indécis.

» C’était jadis la mode d’être malheureux ; ainsi s’explique la manie des lions et lionnes de Paris,