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LES PRUSSIENS D’AUJOURD’HUI

Le ministre était-il réellement invincible ? Pour le commun des mortels, oui ; pour Rosenzweig, non très-probablement. Le problème à résoudre lui ôta le sommeil ; il crut en mourir au moins quatre fois. Enfin, au milieu de la nuit, il sauta de son lit tout joyeux, alluma sa bougie, dansa la polka et vint se mettre devant la glace, se regardant à la lumière, avec étonnement et satisfaction.

« Oui, c’est bien moi, murmurait-il, c’est bien moi, le grand homme qui fera un présent au ministre Kronstein, qui en fera un aussi à Sa Majesté que Dieu garde, et Sa Majesté l’acceptera. »

Rosenzweig avait vu chez le ministre Kronstein, qui possédait une vieille porcelaine, un service de Sèvres, unique en son genre. Le ministre y tenait tant qu’il se montrait inquiet lorsque quelqu’un prenait en main une des pièces. C’était sur ce service que le banquier avait bâti tout un plan diabolique. Par le train suivant, il partit pour Paris. De là il se rendit à Bruxelles, Londres, cherchant partout et vainement un service pareil. Il offrit des sommes incroyables, et ne parvint pas à découvrir ce qu’il désirait si vivement. Il avait déjà perdu tout espoir. En revenant de voyage, il dénicha dans l’auberge d’une petite ville hollandaise un service de la même fabrication que celui du ministre et en tout pareil, jusque dans les moindres