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LES PRUSSIENS D’AUJOURD’HUI

cart, et les autres étudiants te prenaient pour point de mire de leurs plaisanteries.

Tu sais tout cela mieux que moi ; tu n’as pas oublié le jour où tu dus aller te battre avec trois d’entre eux. Tu en blessas deux, mais le troisième t’atteignit en pleine poitrine. Ah ! tu ne te souviens que trop bien de ce que je te raconte là.

Ainsi avait parlé de nuit en nuit la mère mourante à son fils qui écoutait son récit comme une révélation d’en haut. Les heures avaient passé aussi agréablement pour lui que pour elle.

Dans la dernière nuit, la mère appela tout à coup Andor. Il n’y avait personne autre que lui dans la chambre.

« Sur ma commode, il y a un vieux livre, lui dit-elle, les Heures de rêverie ; tu le connais ; donne-le moi. »

Il apporta le livre à tranche dorée, dont le dos en cuir était déchiré et dont plusieurs feuilles détachées sortaient de la couverture. D’une main tremblante, la mère le mit devant elle sur le lit et le feuilleta. Elle semblait chercher quelque chose.

Vers le matin, elle s’éteignit calme et douce comme elle avait vécu.

Son fils resta auprès d’elle jusqu’à ce qu’elle eût rendu le dernier soupir.