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CE QUE RACONTE UNE MÈRE

préparât le repas du soir. J’étais là les manches relevées, les bras nus. Je savais bien que cela lui plaisait de me voir ainsi, et près de moi se tenait un aide de cuisine à la figure noble, ton père en personne. Il faut le dire que depuis quinze jours j’avais un bleu sur un bras ; il avait été si méchant, mon cher époux ; oui, oui, il m’avait pincée très-fort et en aucun jour de ma vie je n’ai ri autant que ce soir-là.

Comment te raconter cette première soirée chez nous ! Chaque étagère, chaque pot contre le mur, chaque toile d’araignée au plafond semblait me dire : je t’appartiens, je suis une partie de ta vie. Le vaste monde au dehors s’était effacé comme un rêve. Personne ne pouvait nous inquiéter ; personne ne pouvait plus nous séparer. C’était comme si nous avions été absolument seuls sur la terre, comme si nous eussions été dans le paradis de nos premiers pères. Quand la nuit fut tout à fait venue avec les étoiles, on n’entendait plus que le grillon du foyer, le doux chant du rossignol et l’on aspirait l’odeur du sureau entrant par la fenêtre ouverte. Oh ! il y a du bonheur sur la terre, du grand bonheur !

Le matin, je découvris que le rossignol qui avait si bien chanté était prisonnier dans une cage au-dessous de la fenêtre. J’étais si heureuse, que je