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CE QUE RACONTE UNE MÈRE

mon recueillement ; mais je ne pouvais m’empêcher de regarder le bel étranger qui se trouvait là debout, si bien vêtu, si distingué.

La messe finie, je cherchai à l’éviter en sortant par la sacristie. J’étais déjà sous les tilleuls entourant l’église, lorsque j’entendis une voix claire m’appeler par mon nom.

Je ne saurais te dire quel effet me produisit le son de cette voix. Je ne voulais pas m’arrêter ; mais il me semblait que j’étais clouée au sol ; mon cœur sursautait ; subitement le ciel était devenu plus bleu, le soleil plus brillant, et le chant des oiseaux dans les branches résonnait si doux, si joyeux !

L’étranger se découvrit et me dit son nom. C’était ton père, comme je te l’ai déjà dit, et ce qu’il y avait de plus étrange, il me semblait le connaître, comme si j’eusse vécu avec lui toute ma vie.

Ce fut alors qu’il me montra la fleur que je lui avais donnée dans mon enfance. Je ne sais comment cela se fit, mais je l’aimai à première vue et je devinai qu’il m’aimait, lui aussi.

Il avait un petit emploi à la ville. Jadis, cela nous paraissait suffisant pour établir un ménage et cela l’était réellement ; on était si économe de mon temps !