Page:Sacher-Masoch - Les Prussiens d’aujourd’hui, 1877.djvu/393

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
383
BIEN CALCULÉ

Jusqu’alors, il n’avait été pessimiste qu’en théorie ; il le devint dans la pratique. Forcément tôt ou tard, il en est ainsi pour tout idéaliste. Il n’est donné qu’aux natures sensuelles de rester optimistes, parce que chez elles le goût pour la vie et ses jouissances ne s’émousse pas par les désillusions, la douleur.

Ce fut un rude combat que celui qu’Andor eut à soutenir ; mais il en sortit fortifié. Du jour où il ne vit plus les hommes tels qu’il les désirait, où il ne se laissa plus aveugler sur leur égoïsme, leurs vices, leur folie, il se sentit plus libre, plus sûr de lui-même. Sa physionomie devint plus sérieuse, son maintien plus décidé. En lui, tout trahissait alors la réserve et la méfiance : mais il était résolu à utiliser sa connaissance de la nature humaine d’une tout autre façon que Plant. Il ne comptait point exploiter les faiblesses et les passions des hommes ; il ne voulait que les combattre sans aucune considération, les combattre sans pitié, sans miséricorde.

Il avait perdu la femme aimée et il devait se préparer aussi à perdre sa mère. Les chagrins, les soucis servirent à tremper son caractère. Il en était arrivé à ce moment où l’on n’attend plus de la vie ni joie, ni bonheur, rien que des peines, des efforts, des luttes ; mais il allait hardiment, avec cette