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TROIS JEUNES SAGES ET UN VIEUX FOU

noms étranges qui, par eux-mêmes et la pensée qu’ils réveillent, font rougir les gens de ce quart de siècle, et ces noms étaient : amour, travail, vérité, beauté, liberté. Je ne les cite peut-être pas tous ; mais je cite du moins ceux qui, de notre temps, ont, au plus haut point, le privilége d’exciter le rire.

» L’idéal des hommes d’aujourd’hui est moins vague certainement, beaucoup plus tangible. Il apparaît sur terre comme un brillant colosse d’or ; malheureusement ce colosse a des pieds d’argile. Oui, oui, le Plaisir, la Richesse, le Luxe, la Splendeur, la Puissance, sont des statues dorées qui ne manqueraient pas d’éclat, qui seraient même jolies ; malheureusement elles ont des pieds d’argile.

» Il n’y a pas à le nier, nous étions des fous, nous, les hommes du passé. Ainsi qu’à des enfants, il nous arrivait souvent d’oublier l’arbre chargé de fruits vermeils pour courir après un beau papillon aux ailes diaprées, et nous égarer dans un bois sombre, mystérieux ; mais lorsque, les pieds meurtris, saignants, nous finissions par retrouver notre chemin dans un coin du ciel au-dessus de notre tête, nous apercevions une belle étoile brillant d’un doux éclat consolateur. »

— Je ne le trouve déjà pas si fou — observa tout bas Andor. — Il y a beaucoup de vrai dans ses paroles.