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LES PRUSSIENS D’AUJOURD’HUI

lâcher «avec un si ardent amour à leur pauvre nationalité. La raison en était que nous n’avions jamais songé à aimer la nôtre tant qu’elle était peu estimée. Par contre, en ce moment, nous la chérissons de toutes nos forces. Ne sommes-nous pas, au fond, un peuple très-original ?

Quand les Français suivaient avec enthousiasme le drapeau tricolore et couvert de gloire de Napoléon, c’était un défaut national chez eux ; tandis que, chez nous, c’est une vertu nationale d’acclamer le drapeau prussien victorieux. Quand les Russes se faisaient égorger pour Dieu et le tzar, c’était, à nos yeux, la conséquence de leur manque de culture intellectuelle ; mais, lorsque les Allemands meurent pour Dieu, le roi et la patrie, c’est le résultat de notre culture intellectuelle. Nous sommes, vraiment, un peuple bien original.

On prétend, à vrai dire, qu’il n’y a pas de peuple original, que chaque peuple a reçu sa civilisation d’un autre et l’a transmise à son tour, pour payer sa dette ; que les Italiens et les Espagnols ont pris beaucoup des Juifs, des Grecs, des Romains et des Arabes ; que les Français ont hérité des Italiens et des Espagnols et les Anglais de tout le monde. On prétend encore que nous, nous tenons des Anglais, que les Russes tiennent