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LES PRUSSIENS D’AUJOURD’HUI

bourse. On n’apprécie que l’argent gagné au jeu, soit que l’on ait risqué pour cela d’autre argent, soit que la beauté ou toute autre chose ait servi d’enjeu. Quiconque est condamné au travail est par cela seul à peu près condamné au mépris.

La revendeuse ne trouva rien à répliquer immédiatement ; elle se mit à frotter fortement avec sa manche un chandelier à plusieurs branches et en plaqué. Elle lança ensuite :

— Tu as vu cela dans tes maudites pièces de théâtre et dans tes romans du diable.

— J’ai vu cela dans la vie de chaque jour. Quelqu’un salue-t-il un ouvrier, un artisan, parce qu’il travaille ? Non, certes. Par contre, notre brave homme de voisin, qui nourrit sept enfants avec son aiguille et qui est phthisique à laisser voir le jour à travers, se découvre humblement devant la maîtresse d’un banquier parce qu’elle daigne lui donner à faire ses riches vêtements.

— Allons donc ! Tu sais bien que ce que tu dis-là n’est pas la vérité.

— Je vois les choses telles qu’elles sont, soupira Marie, et je ne m’imagine pas que d’un chardon on puisse tirer de l’essence de rose. Quiconque travaille est méprisé comme l’âne qui, d’une année à l’autre, traîne la charrette dans les rues. C’est ainsi et nous n’y changerons rien.