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LE PREMIER PAS VERS LE MILLION

fallait en ce moment, et jouant son rôle si naturellement que ses amis auraient eu de la peine à le reconnaître. Son chien en était stupéfait.

Avec le comte Bärnburg, il affecta d’être un homme pratique, instruit, mais sérieux. Il avait monté d’une octave le ton habituel de sa voix, et ce qu’il disait était un heureux mélange de laconisme militaire, de pédantisme sec, confiant en lui-même. Honte-à-toi, assis devant lui, le regardait en clignotant, comme s’il se fût dit :

« Est-ce bien mon maître ? »

Le comte lui adressa toute sorte de questions contradictoires pour le prendre au piége.

— Dans une maison comme la mienne, il arrive assez fréquemment qu’une poésie de circonstance est la bienvenue. Seriez-vous en état d’en faire à l’occasion ?

— Je n’ai jamais fait de vers, répond le clerc d’une voix qui semble sortir de la tombe.

Son chien sursaute et lève le nez vers lui.

— Mais vous pourriez apprendre.

— Pardon, monsieur le comte, je ne m’entends pas du tout à ces choses-là.

Il a parlé de cette même voix creuse qui résonne si décidée, si pratique. Nouvelle stupéfaction illimitée du chien qui renverse sa tête et se met à hurler comme s’il eût perdu son maître.