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TROIS JEUNES SAGES ET UN VIEUX FOU

après-midi ils venaient prendre place à une large table tellement serrée contre le mur qu’ils étaient forcés de s’y tenir assis en rameurs de galère ; mais cela ne devait pas leur déplaire, car leur physionomie rayonna en voyant que leur incommode coin était inoccupé.

Pourquoi avaient-ils choisi ce café de préférence à un autre et y venaient-ils à cette heure de l’après-midi ? Ce n’était pourtant pas un de ces féeriques établissements fréquentés par des barons ennuyés ou des boursiers, remuants à croire qu’ils ont du vif-argent dans les jambes ou dans lesquels de jeunes dames respirant des idées d’émancipation et nullement profanées par la fumée du tabac, siégent dans toute sorte de toilettes et toute sorte d’attitudes, prennent des glaces, feuillettent les journaux illustrés.

Non ; ce café avait, comme tant d’autres, l’été, devant sa porte, des orangers dans leur caisse d’un vert vénéneux, et tout le long de l’année on y trouvait un nuage de fumée, des professeurs jouant aux échecs, des petits employés s’échauffant aux tarots, des officiers à l’assiette d’un balancement hardi, un monocle dans l’œil, se tenant debout près du billard ou couchés sur ce même billard, la caissière avec sa figure habilement peinte, son sourire à tout venant, ses liseurs de journaux.