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LES PRUSSIENS D’AUJOURD’HUI

Devant ce palais fermé, bien en face de la petite porte, dont le heurtoir étrange représentait une tête grimaçante de faune, les trois amis s’arrêtèrent, comme d’un commun accord, examinant d’abord les colonnettes noircies par le temps, la fumée, puis, levant les yeux vers les fenêtres où la poussière faisait son nid :

— Entendez-vous cette musique ? dit tout à coup Andor.

Les deux autres clignèrent de l’œil et se mirent à écouter, la tête baissée, les paupières mi-closes. Les sons qui s’échappaient du palais mystérieux valaient la peine d’être entendus ; dans cette rue étrange et tranquille, ils retentissaient à la fois harmonieux, bizarres, aériens.

Dire qui jouait, quel instrument résonnait n’était pas facile. Tantôt on croyait entendre comme une puissante voix d’orgue grondant sous une vigoureuse main d’homme ; puis un chant de flûte lui succédait, ou bien c’était le doux murmure d’une voix de femme, qui parlait de désir, de passion, et expirait en ondes caressantes.

Jusqu’ici, il y avait eu comme de l’harmonie bienfaisante dans ces accords, tout bizarres qu’ils étaient ; soudain les sons commencèrent à se heurter, à se croiser ainsi que des vilains gnomes, et bientôt ce n’était plus qu’un affreux chaos dans