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tenant un bijou de grand prix. Anna fut éblouie, confuse, complètement fascinée, et comme, vers le soir, le baron vint lui rendre visite, elle, jadis si fière, ne put trouver assez de paroles pour exprimer sa reconnaissance. Le jeune gentilhomme ne s’attarda pas longtemps dans le misérable logis des pauvres gens ; il se retira, bientôt suivi de deux valets de pied qui, tirant d’un grand panier, un souper fin et quelques bouteilles de vins des meilleur crûs, posèrent le tout sur la table et se retirèrent.

L’ouvrier et sa femme, la blanchisseuse, firent fête à la bonne chère qui leur tombait ainsi du ciel et vidèrent maintes bouteilles à la santé du baron ; quant à la jeune fille, elle se montra songeuse, presque mélancolique. Elle sentit qu’elle était déjà allée trop loin, qu’elle ne pouvait plus s’arrêter et soudain l’esprit de cet être hautain, opiniâtre, impérieux, né pour amener les hommes à ses pieds et non pour être leur jouet, fut comme envahi de chagrin et se crut outragé.

Le baron prit toutes peines d’éviter de remarquer l’étrange humeur d’Anna, et, comme on se séparait tant soit peu tard, qu’Anna l’éclairait du haut de l’escalier, il eut le tact exquis d’abaisser son chapeau jusqu’à terre et de se rappeler au bon souvenir de la belle fille de cette