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en brosse à encadrer un visage remarquable, aux lignes douces, au nez droit, à la bouche fine, que la vie militaire avait couvert de cette belle teinte de bronze qui, avec les deux plis mélancoliques de la bouche et les moustaches pendantes, donne à nos soldats un cachet si particulier. Sous l’arc rigide des sourcils, ses yeux honnêtes et profonds semblaient mouillés de larmes ; leur regard calme, expressif, allait au cœur. C’était cela, — puis sa voix. À le voir d’abord, cet homme paraissait si solide, si entier ; puis, à l’écouter, on devinait une fêlure. Sa parole était grave, monotone, il y vibrait comme une sourde douleur.

Les paysans avaient avec eux un chien ; c’était un chien de berger ordinaire, de couleur indéterminée, avec un collier de poils noirs et une jolie tête de renard. Il dormait dans la cendre, le museau pointu appuyé sur les pattes de devant, et il remuait la queue chaque fois que la voix triste du capitulant frappait son oreille.

Tout le monde parlait bas et sur un ton sérieux, le Juif seul plaisantait tout haut. — J’ai trouvé une femme pour vous, Balaban, — une veuve, très jolie, je sais que vous y tenez, et qui a du bien au soleil, ce qui ne gâte rien. Qu’en pensez-vous ? Elle m’a déjà parlé de vous. — Il regarda successivement tous les assistants, mais personne ne fit attention à lui. Leb-Kattoun se préparait évidemment à devenir tout à fait communicatif. — Juste Dieu ! dit-il à Balaban en lui passant la main sur le dos, j’oublie que vous avez renoncé aux femmes. — Il cligna