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bouleaux, et s’y suspendait en voiles grisâtres qui se dissolvaient peu à peu ; une vapeur chaude et lumineuse flottait autour de la fournaise. Les paysans qui étaient couchés auprès du feu se dressèrent tout à coup comme des démons noirs. Le Juif les interpella : aussitôt ils se replongèrent dans l’ombre ; un seul se détacha et vint à nous.

— C’est Balaban, me dit Leb-Kattoun. Ne le connaissez-vous pas ? C’est le capitulant[1].

C’était un ancien troupier, le garde champêtre de la commune de Toulava ; il jouissait d’une grande considération, car on le savait esclave de la consigne. J’avais entendu parler de lui plus d’une fois déjà, mais je n’avais pas encore eu l’occasion de faire sa connaissance. Je l’examinai avec intérêt. Sa taille élevée, son port droit, sa tête, ses allures à la fois aisées et réservées, indiquaient très nettement un caractère ferme, déterminé. Son salut fut poli, mais rien de plus.

— Est-ce que la tempête vous a causé beaucoup d’ennui ? demanda-t-il en regardant les chevaux. J’espère que le cocher a fait son devoir ? — Il parlait comme un gentilhomme qui reçoit son hôte, il y avait de la grâce et de la dignité dans ses façons. D’un signe de la main, il m’invita à venir près du feu. — Les chevaux sont fatigués et en sueur, reprit-il, et il est nuit noire ; il vous faudra faire une halte.

  1. Vétéran de l’armée autrichienne qui a fait deux congés ou même trois ; reprendre service s’appelle en Autriche capituler.