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deux ! » Comme ils se comprennent, les deux filous !

À mesure qu’il descend, le soleil devient visible à l’horizon sous la forme d’une boule vaporeuse et brillante. Il ne se couche pas, il se dissout dans la neige ; il fond comme de l’or liquide, des ondes dorées coulent jusqu’à nous, des traînées de lumière irisée se jouent sur la nappe blanche, qui semble aspergée d’argent fondu. Enfin tout disparaît ; les jets de lumière rentrent, pâlissent ; un moment, une légère vapeur rose plane encore dans l’atmosphère, puis elle s’évanouit à son tour, et tout retombe dans une morne et froide immobilité.

Cela ne dura qu’un instant. Soudain du côté de l’est une bise glacée nous fouetta le visage. Un traîneau passait au loin, le vent nous apportait le tintement plaintif de ses clochettes ; mais bientôt tout fut englouti dans un brouillard cendré qui surgit à l’horizon, s’aggloméra et se mit à onduler. L’obscurité augmentait rapidement. Des nuées grises, informes, envahissaient le ciel, redoutable armada aux mille voiles. Déjà le vent les saisit, les gonfle ; elles viennent au-devant de nous, et nous y entrons en plein. Le Juif arrête ses chevaux. — C’est une tempête qui se lève, dit-il d’un air soucieux. Nous pourrions nous perdre dans la tourmente. Toulava n’est pas bien loin d’ici ; ce serait moins long que de retourner chez nous. Qu’en pensez-vous, monsieur ?

— Allons à Toulava.

Il fit claquer son fouet sur les têtes de ses deux noirs, et la course reprit. Des traînées de brouillard