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fait une course échevelée dans un léger traîneau tiré par deux jolies filles aux longues tresses brunes, au corsage rebondi sous la chemise bouffante. Les ris partent et montent vers le ciel comme des alouettes en allégresse. Elles pouffent de rire, lui rit plus fort, et il perd son bonnet de fourrure.

Nous côtoyons la forêt. Qu’est devenu son langage mélodieux ? Abois rauques du renard, croassements des choucas ! Le feuillage mort laisse entrevoir ses tons rouges sous une couche uniforme de neige. Une vapeur rose, humide, enveloppe la forêt et le ciel. Devant nous, plus rien que des collines neigeuses, semblables aux vagues figées d’une mer blanche. Là où cette nappe éblouissante se soude au ciel blanchâtre, l’éclat est tel qu’il faut, pour le supporter, des yeux qui peuvent impunément regarder le soleil. Derrière nous disparaissent et le village et la rouge forêt ; les cimes lointaines des montagnes dégarnies s’éclairent une dernière fois, puis s’évanouissent ainsi que les collines et les arbres isolés. Nous sommes entrés dans la plaine indéfinie. De la neige devant nous et derrière nous, un ciel blanc sur nos têtes, — et autour de nous la solitude absolue, la mort, le silence.

Nous sommes emportés comme dans un rêve. Les chevaux nagent pour ainsi dire dans la neige, le traîneau les suit sans bruit. Une petite souris grise court sur la neige durcie ; pourtant l’œil ne découvre nulle part ni cheminée, ni arbre creux, ni taupinière, et elle trotte là d’un petit air affairé et déterminé. Où donc va-t-elle ? Déjà ce n’est plus qu’un petit