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La clarté transparente d’une après-midi d’hiver m’avait séduit ; ma résolution était prise d’en profiter. Tous les chevaux ne sont pas bons pour trotter dans la neige ; mon alezan était malade, je fis donc venir Mosche Leb-Kattoun, un grand cocher devant le Seigneur, dont les deux noirs sont connus pour avoir le pied sûr. Le temps était magnifique, l’air semblait immobile et la lumière aussi, les ondes dorées du soleil ne tremblaient point dans la légère vapeur terrestre ; air et lumière ne formaient ensemble qu’un seul élément. Le village était silencieux, aucun bruit ne trahissait les habitants des chaumières, les moineaux seuls voletaient le long des haies en piaillant. À quelque distance était arrêté un petit traîneau attelé d’un petit cheval boiteux, pas plus haut qu’un poulain ; c’était un paysan qui avait été chercher du bois dans la forêt ; sa fillette l’interpellait, et elle courait pieds nus dans la neige profonde pour ramasser une bûche qu’il avait perdue.

Comme nous descendions la pente de la montagne dénudée en faisant joyeusement tinter nos clochettes, la plaine s’étendait devant nous sans limites, majestueuse sous le manteau d’hermine dont la couvrait l’hiver ; les troncs des saules rabougris, dépouillés de leurs feuilles, dans le lointain quelques cabanes enfumées, étaient les seules taches noires sur cette fourrure blanche. Mosche Leb-Kattoun se secoua en poussant un cri. La première vue de ce désert de neige avait agi sur lui comme un poison rapide ; son imagination orientale commençait à parler en phrases bibliques, un coup