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Il vida d’un trait son dernier verre de tokaï. — Si gaie ! Vous rappelez-vous les vers de… de qui donc ? du grand Karamsine. Il est vrai que c’est un Grand-Russien, mais cela n’y fait rien, je maintiens l’épithète, — il passa la main dans ses cheveux ; — j’y suis.

« Voici le fond de la sagesse — que la vie m’a enseignée : — L’amour est mortel, — rien ne peut l’empêcher de mourir.

» Sois fidèle, elles riront de toi ; — elles varient comme la mode. — Change, et c’est l’envie — que tu déchaîneras.

» Évite le piège de l’hymen ; — ne te flatte pas d’avoir une femme à toi. — Aime-les et trompe-les toutes, — pour n’être point trompé. »

C’est bien cela… il faut tromper pour n’être point trompé…

Je pourrais maintenant vous raconter mes exploits amoureux. Toutes les femmes sont à moi : paysannes, juives, bourgeoises, grandes dames, toutes ! la blonde et la brune, la rouge aussi… Des aventures tous les jours ! Tenez, en ce moment, j’ai une jeune femme mariée, — un vrai démon, monsieur !… J’ai la tête un peu lourde… Puis encore une autre, la veuve d’un brigand ; elle ne sait pas lire, mais elle sait aimer… Dix femmes à la fois ! pourtant le cœur n’est jamais pris. — Il se mit à rire d’un rire aimable en montrant ses magnifiques dents blanches comme l’ivoire. — À quoi bon d’ailleurs le cœur ? Il faut que l’homme ait un cœur pour ses enfants, pour ses amis, pour la patrie, mais pour une femme ? Ah ! ah ! aucune ne m’a plus trompé depuis que je les trompe toutes. Drôle de comédie ! Comme on vous adore quand vous les faites pleurer !