Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

loin. Je ne me fâche pas : elle me plaît ainsi ; je lui baise la main, je lisse la fourrure. Tout à coup elle me regarde d’un regard étrange ; je n’y comprends rien. — Cela ne peut pas durer, dit-elle d’une voix tout enrouée, avec effort. — Mais qu’as-tu donc ? — Tu ne viens plus ici que la nuit, s’écrie-t-elle. À une maîtresse, on fait la cour au moins. Et moi, moi, je veux être aimée ! — Eh bien ! je ne t’aime donc pas ? — Non ! — Elle sort, monte à cheval, disparaît. Je la cherche toute la nuit, toute la journée. Comme je rentre le soir, elle a fait faire son lit dans la chambre des enfants.

J’aurais dû me montrer alors, c’est vrai ; j’étais trop fier, je croyais que les choses s’arrangeraient, — et puis nos femmes ! on n’en fait pas ce qu’on veut. Il y avait là au bailliage un greffier allemand ; sa femme recevait des lettres d’un capitaine de cavalerie. — Qu’as-tu donc là, ma chère ? — Il prend la lettre, et il n’a pas achevé de lire qu’il commence à la battre ; il l’a si bien battue qu’elle lui a rendu son affection. Voilà un mariage heureux ; mais moi ! j’ai manqué le bon moment. Maintenant c’est tout un.

On ne se disait plus que bonjour, bonne nuit, c’était tout. Je recommençais de chasser ; je passais des jours entiers dans la forêt. J’avais alors un garde-chasse qui s’appelait Irena Wolk, un homme bizarre. Il aimait tout ce qui vit, tremblait lorsqu’il découvrait un animal, et ne l’en tuait pas moins ; ensuite il le tenait dans sa main, le contemplait, et disait d’une voix lamentable : — Il est bien heureux, celui-là, bien heureux ! — La vie à ses yeux