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garçons qui n’avaient pas l’air de s’apercevoir de rien ; ensuite aucun d’eux ne se souciait de risquer sa vie, — pourquoi ? — ou d’être estropié. Tant que le cœur ne se met pas de la partie !… Cependant ils me taquinaient. — Qu’en dis-tu, frère ? Ta femme se laisse faire la cour de la belle façon. — Faites-lui la cour, ne vous gênez pas ! — Avais-je raison ?

Mais il en vint un autre, — vous ne le connaissez pas sans doute : un homme insupportable, un blond, au visage blanc et rose. C’était un propriétaire. Il se faisait friser tous les jours par son valet de chambre ; il récitait l’Igor et les vers de Pouschkine avec les gestes obligés, comme un vrai comédien. Celui-là plut à ma femme. — Sa voix était devenue rauque : plus il s’échauffait, et plus il baissait le ton ; les paroles sortaient péniblement, s’arrachaient de la poitrine. — Attendez. On menait donc une vie joyeuse. L’hiver, les voisins arrivaient avec leurs femmes : des bals, des mascarades, des promenades en traîneaux ! Ma femme s’amusait. Dans l’été, elle eut un second enfant, un garçon, comme le premier. Il y eut entre nous comme un rapprochement. Un jour, assis près de son lit, je lui dis : — Je t’en supplie, prends une nourrice ! — Elle secoue la tête. Les larmes me viennent, et je sors.

Une année durant, elle fut donc encore absorbée par son fils. Nous causions rarement ; elle commençait à bâiller quand je lui parlais de mes affaires, puis des querelles à propos de tout, et devant les étrangers. J’avais toujours tort, les autres toujours