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seras mon esclave ! — s’habille en sultane, écharpe de couleur, turban, mon poignard circassien à la ceinture, un voile blanc par-dessus tout cela, et elle reparaît triomphante. — Une femme divine monsieur ! Lorsqu’elle dormait, je pouvais passer des heures à la voir respirer seulement, et si elle poussait un soupir, la peur me prenait de la perdre : il m’arrivait de l’appeler à haute voix, elle se mettait sur son séant, me regardait étonnée et éclatait de rire. — Mais c’est son rôle de sultane qu’elle jouait surtout dans la perfection. Elle gardait son sérieux, et, si j’essayais de plaisanter, elle fronçait les sourcils et me lançait un regard, je me croyais déjà sur le pal.

III

Nous vivions ainsi comme deux hirondelles, toujours ensemble et caquetant. Une douce espérance vint s’ajouter à nos joies. Et pourtant par quelles angoisses j’ai passé ! Souvent je lui écartais gentiment les cheveux du front, et les larmes me montaient aux yeux ; elle me comprenait, me jetait ses bras autour du cou et pleurait. — Cela nous prit à l’improviste comme la fortune. J’avais couru à Koloméa chercher le médecin ; comme je rentre, elle me tend l’enfant. Les vieux parents ne se connaissaient pas de joie, nos gens poussaient des cris et sautaient, tout le monde était soûl, et sur la grange la cigogne faisait le pied de grue. — Dès lors les soucis arrivèrent, chaque heure de tourment ne faisait que serrer le lien entre nous. Mais cela ne devait pas durer.