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alors beaucoup d’un ours monstrueux qui avait été vu dans les environs, et qui avait aussi fait son apparition chez les Senkov. Je me rappelais mon ours du ravin, et j’étais quelque peu honteux. Un jour, je vais donc encore en visite, quand je vois des paysans traverser la route et se diriger en courant à toutes jambes du côté du pacage. Je pousse mon cheval, j’entends crier à l’ours ! c’est l’ours ! Je m’élance à toute bride, je mets pied à terre, j’aperçois une foule de gens qui entourent Nicolaïa couchée sur le sol, tenant son chien entre ses bras et sanglotant. L’ours était là qui emportait un agneau. Les bergers, les chiens, personne ne bougeait, ils ne faisaient que hurler. La demoiselle pousse un grand cri ; Charbon est piqué au vif, de sa jambe boiteuse il bondit par-dessus la palissade, saute à la gorge du ravisseur. Ses dents sont émoussées, cependant il empoigne son adversaire : les bergers accourent avec le fusil, l’ours prend la fuite, l’agneau est sauvé ; le pauvre Charbon se traîne encore quelques pas, et tombe comme un héros. Nicolaïa se jette sur lui, l’étreint dans ses bras, l’inonde de ses larmes ; il la regarde une dernière fois, soupire, et c’est fini.

J’étais là comme si je venais de commettre un assassinat. — Laissez-le, pana Nicolaïa, lui dis-je. — Elle lève sur moi ses yeux pleins de larmes : — Vous êtes dur, vous ! me répond-elle. — Moi, un homme dur !

Je confie mon cheval aux bergers, je prends un long couteau, l’aiguise encore ; je me fais donner le