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Charbon, tout jeune lui-même, venait lui lécher la figure, et l’enfant glissait ses doigts mignons entre ses dents aiguës et riait, et le chien riait aussi. Ils grandirent ensemble : Charbon devint fort comme un ours. Nicolaïa était en retard sur lui ; cependant ils ne cessèrent de s’aimer. Puis, quand il eut à garder les moutons…, ce n’est pas qu’on l’eût destiné à ces fonctions, mais il était si généreux de sa nature qu’il lui fallait toujours quelqu’un à protéger. À dix lieues à la ronde, vous n’auriez pas trouvé une bête pareille. S’il dévorait un chien, c’était pour en venger un autre. Les loups l’évitaient, et l’ours restait chez lui quand maître Charbon était de garde. Il eut ainsi cette idée de protéger les moutons ; ces pauvres bêtes, toujours effarées, c’était bien son affaire. Il vint donc chez les moutons, ne fit plus que de rares visites à la maison, et, lorsqu’il en revenait, les agneaux se pressaient à sa rencontre, et lui il donnait un coup de langue à droite et à gauche, comme pour dire : C’est bon, c’est bon, je sais… Nicolaïa venait à son tour en visite au pacage, mais si l’enfant oubliait de venir, le chien boudait, et, au lieu de se présenter à la maison, faisait une pointe dans la forêt, histoire de troubler le ménage du loup. C’était vraiment un animal majestueux. Lorsque Nicolaïa arrivait, il lui amenait les petits agneaux ; elle s’asseyait sur son dos, et il la promenait avec orgueil.

Quand je le connus, il était déjà vieux, avait les dents usées et une jambe estropiée, dormait souvent, et il se perdait plus d’un agneau. On parlait