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dans Israël. L’étranger éleva le sien : — À votre santé ! — Il était sincère, car il vida son verre d’un seul trait. Ce n’était point un buveur, il n’avait pas goûté et claqué de la langue avant de boire.

Le Juif le regardait, il lui dit timidement : — C’est bien de l’honneur pour nous que monsieur le bienfaiteur nous rende visite, et quelle santé magnifique ! Toujours sur la brèche ! — Pour souligner cette remarque, Mochkou prit un air de lion en écartant ses bras grêles et piétinant en cadence. — Et comment se portent madame la bienfaitrice et les chers enfants ?

— Bien, toujours bien.

Mon boyard se versa un second verre et le vida, mais en tenant les yeux baissés, comme honteux ; le Juif était déjà loin lorsqu’il me jeta un regard embarrassé, et je vis qu’il était tout rouge. Il garda le silence pendant quelque temps, fumait devant lui, me versait à boire ; enfin il reprit à voix basse : — Je dois vous paraître bien ridicule. Vous vous dites : Le vieux nigaud a sa femme et ses enfants à la maison, et voilà-t-il pas qu’il veut m’entretenir de ses exploits amoureux ? Je vous en supplie, ne dites rien, je le sais de reste ; mais d’abord, voyez-vous, il y a du plaisir à causer avec un étranger, et puis, pardonnez-moi, c’est singulier, on se rencontre et l’on ne doit jamais peut-être se revoir, et pourtant on se soucie de l’opinion que l’autre pourrait emporter de nous,… moi du moins. Il est vrai, — je ne veux pas me peindre en beau, — que je ne suis point insensible à la gloriole ; je crois que je serais désolé