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éprouve à remplir un devoir. Ne crains pas que je veuille faire de la morale. Comme je ne connais qu’une loi : ne fais pas à ton prochain ce que tu ne veux pas qu’il te fasse, ainsi je ne connais qu’un devoir qui prime tout, c’est la gratitude. Crois-moi, quand on a partagé toute joie et toute douleur, qu’on s’est aidé réciproquement, soutenu, consolé tous les jours, on finit par éprouver l’un pour l’autre comme une ineffable pitié, qui vous unit encore alors que les illusions disparaissent…

— Ah ! tu conviens donc que tu as eu des illusions que tu as perdues ?

— Cela va de soi, repartit mon ami. Ne faut-il pas toujours en rabattre, se résigner ? Mais on renonce au clinquant et on gagne de l’or pur. Ce qu’il y a de si beau dans le mariage, c’est qu’il réunit les deux facteurs du bonheur véritable, la jouissance et le renoncement. L’amour, qui est l’abandon de soi-même, cesse d’être un danger dans le mariage, parce que l’abandon est réciproque ; quelle satisfaction plus grande que celle qu’on éprouve lorsqu’on croit se sacrifier au bonheur d’une personne aimée ? Au reste je dois dire que le destin a tout fait pour me rendre le devoir facile…

— Continue ! lui dis-je ; tu ne sais pas combien je me réjouis de te voir si content.

— Ah ! mon ami, la femme est le salut ; qu’y a-t-il dont elle ne puisse nous sauver ? Elle nous sauve de la mort en nous faisant renaître dans nos enfants. C’est ainsi que je comprends le mystère de la rédemption ; c’est ma femme qui me l’a fait com-