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« Lesno, 28 mai 1858.

» Tu veux savoir comment je m’y prends pour façonner son esprit ? Sais-tu de quelle manière nos paysans apprennent à leurs enfants à marcher ? On les emmène aux champs, on les dépose quelque part sur le sable, et tout d’un coup ils marchent.

» C’est ainsi que j’élève Marcella, en la plaçant d’emblée au milieu de ma vie de travail et de ma vie intellectuelle, et en lui demandant tout de suite ce que je veux qu’elle apprenne. Je suis sûr qu’elle-même ne sait pas quel jour elle a appris à monter à cheval. Je l’ai mise en selle, et elle partait. C’est ainsi qu’elle apprend le français et l’allemand par l’usage, en causant avec moi, comme l’enfant apprend sa langue maternelle. C’est de la même manière qu’elle s’approprie des notions de toutes les sciences. La peau d’ours qui lui sert comme descente de lit donne des étincelles au moment où elle l’effleure de son pied nu : c’est le cas de lui parler du fluide électrique ; un cachet taillé à facettes fournit le prétexte pour lui expliquer les effets du prisme. Et ainsi tous les jours. Elle vit dans une atmosphère de clarté et de vérité. Peu à peu, elle pense, elle raisonne correctement ; elle prend des idées viriles sur l’honneur, le devoir, le travail, la loi et les droits de chacun, les usages, les plaisirs, — et elle vit comme elle pense. Le matin, en sortant du lit, un bain froid, après quoi on déjeune et on monte à cheval, peu importe qu’il pleuve ou qu’il vente. Jusqu’au coucher du soleil, elle est occupée, soit au dehors, soit à la