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l’autre, et s’aggrave de toute la violence de leur amour.

Elle lui montre presque de la haine ; elle est farouche avec lui, brutale. Est-il question de la leçon, le champ ou ses bêtes la réclament ; cependant il ne se passe pas un quart d’heure qu’on la voit arriver. Lorsqu’il parle, qu’il fait un récit, elle reste assise à l’écart, mais elle l’écoute et le dévore des yeux. Pourtant, jamais une question, jamais elle ne lui adresse la parole. Elle ne lui fait pas accueil lorsqu’il vient, ne le reconduit pas lorsqu’il part.

Aujourd’hui, quand nous sommes arrivés, elle était assise devant la chaumière, les mains croisées sur ses genoux et absorbée dans une rêverie ; elle a rougi en reconnaissant son pas, mais elle a fait semblant de ne pas nous voir.

— Bonjour, Marcella, dit mon ami.

— Ah ! c’est encore vous, monsieur le comte ? — et elle éclate de rire. — Vous n’avez donc rien à faire à la maison, puisque vous pouvez vous déranger si souvent ? On dit pourtant que tout ne marche pas chez vous comme il le faudrait.

Le comte ne répond rien ; il entre, et va s’asseoir auprès de sa vieille nourrice.

Au bout de quelques minutes, elle nous suit, et va fouiller dans ses pelotes de fil. Le comte place sur la table le manuscrit de son Faust en petit-russien. — Voici le plus beau poème qui existe, dit-il ; je l’ai traduit pour toi.

— Vous auriez pu vous épargner cette peine, s’écria-t-elle. Je ne suis qu’une paysanne, je n’y com-