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allée au cimetière. Je l’y suivis. C’est un coin singulièrement tranquille et avenant : des haies vives l’entourent au lieu de laides murailles ; une herbe haute et fraîche couvre tous les chemins, chaque tombe est un parterre de fleurs, et les croix de bois portent des couronnes fanées. Sur un tertre qui disparaissait sous un buisson de roses, et dont la croix affaissée portait une couronne d’immortelles, était assise Marcella. Elle ne paraissait pas surprise de me voir, on eût dit qu’elle m’attendait. Je pris place à côté d’elle.

— Qui est enterré ici ? lui dis-je. — Elle me montra l’inscription à demi effacée, et je déchiffrai ce nom : Lucyan Trebinsky. — Je croyais, repris-je, que c’était la tombe de ta mère.

— C’est celle-là, en face.

— Et qui était ce Trebinsky ?

— Un pauvre garçon qui avait beaucoup d’affection pour moi, dit-elle avec mélancolie. C’est lui qui m’a ouvert ce monde du bon Dieu, souvent j’éprouve encore le besoin de causer avec lui ; mais il ne peut plus me répondre. — Une larme vint mouiller ses paupières ; je lui pris la main. — Vous savez, continua-t-elle, comment j’ai perdu ma mère, à l’époque du choléra. En moins d’une heure, c’était fini. Je n’avais pas quinze ans ; mais ma sœur aînée avait ses enfants sur les bras, je dus remplacer ma mère auprès des deux petits. J’eus beaucoup de tracas et de souci ; toutes les calamités arrivèrent à la fois, la grêle, les inondations, les mauvaises récoltes. Ce fut au milieu de ces malheurs qu’il nous tomba ici.