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Pour le moment, merci et bonne nuit ! — Il lui tendit la main, et, voyant qu’elle cachait la sienne dans les plis de sa jupe, il s’en empara, la secoua cordialement, fit un salut en se découvrant, et s’engagea dans le sentier qu’elle venait de nous indiquer.

— Bonne nuit ! — cria-t-elle derrière nous, quand nous avions déjà fait quelques pas ; puis elle se mit à courir sur la lisière de la forêt.

Le comte la regarda s’éloigner. On voyait les plis blancs de sa chemise briller dans la nuit. — Il faut que cette femme soit à moi, murmura-t-il.

— Et comment cela ?

— Je n’en sais rien encore moi-même ; mais je sens qu’elle est mienne, qu’elle doit être à moi.

Le lendemain, je le vis entrer chez moi à une heure tout à fait matinale. Il tourna d’abord pendant quelques minutes dans la chambre sans mot dire ; il avait l’air ému, presque égaré. À la fin, il s’arrêta devant la fenêtre, et dit à demi-voix, comme s’il ne s’adressait pas à moi : — Crois-tu à la seconde vue ?

— Pourquoi cette question ?

— Moi, j’y crois ; ma mère était voyante. Elle pressentait des choses qui ne devaient arriver que longtemps après. Et moi…

— Toi,… je dirais que tu es un songeur, si je ne te connaissais pas.

— Je ne suis pas un songeur ; mais j’ai des pressentiments étranges, qui me viennent subitement, qui se fixent malgré moi dans mon esprit et finis-