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riable, comme toi tu es mortel et changeant. Je suis la vie, et tes tourments ni ton existence ne m’importent… Toi comme eux tous, vous sortez de moi, et tôt ou tard à moi vous retournez. Vois comme à l’automne les êtres se changent en chrysalide, ou cherchent à protéger leurs œufs, puis meurent tranquilles, en attendant le printemps. Toi-même ne meurs-tu pas chaque soir pour renaître le lendemain ? et tu as peur du dernier sommeil !

» Je vois avec indifférence la chute des feuilles, les guerres, les fléaux qui emportent mes enfants, car je suis vivante dans la mort et immortelle dans la destruction. Comprends-moi et tu cesseras de me craindre et de m’accuser ; tu te sauveras de la vie pour retourner dans mon giron, après une courte angoisse. »

Ainsi me parla la grande voix. Puis le silence se fit de nouveau. La nature rentra dans sa morne indifférence et me laissa à mes pensées.

Une terreur vague m’envahit ; j’aurais voulu fuir, je me levai pour sortir de la forêt. Bientôt je fus dans la plaine qui s’étendait paisible sous un ciel clair rempli d’étoiles. Au loin, je voyais déjà mon village et les fenêtres éclairées de ma maison. Un calme profond se fit en moi, et un désir ardent de science et de vérité s’alluma dans mon âme. Et comme j’enfilai le sentier bien connu à travers les champs et les prés, j’aperçus tout à coup une étoile qui brillait au ciel, et il me sembla qu’elle me précédait, comme l’étoile des rois mages qui cherchaient la lumière du monde.