Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa présence, pendant qu’elle suivait du regard les anneaux de fumée bleue qui se dissipaient lentement, et qu’à travers ses paupières à demi-closes, ombragées de longs cils noirs, elle contemplait Vladimir.

Il n’était ni beau ni laid et paraissait très jeune. C’était un homme de taille moyenne, maigre et d’apparence presque chétive, avec des mains fines et des pieds étroits ; mais son port et ses allures trahissaient une rare énergie. Son visage, naturellement pâle sans la moindre nuance de rouge, avait pris sous l’action du soleil un ton brun bilieux. Le front, un peu bas, montrait au-dessus de l’arcade des yeux et du nez fortement busqué des proéminences qui auraient frappé un phrénologue. Un menton légèrement pointu, une bouche aux lèvres pleines avec deux rangées de dents splendides, complétaient cette physionomie, qui ne manquait pas de caractère. Vladimir ne portait pas de barbe, en revanche il avait d’épais cheveux bruns qu’il ramenait en arrière à la façon des pasteurs protestants. Olga ne le perdait pas de vue, tout en évitant de rencontrer son regard ; elle dut y mettre beaucoup de volonté, car les grands yeux clairs et profonds de cet homme exerçaient une attraction, une fascination magnétique. L’expression de ces yeux était changeante : tantôt, fermés à demi, ils lançaient des éclairs de malice sarcastique, tantôt ils brillaient d’un éclat humide, ou bien il y rayonnait une froide et pénétrante clarté ; mais toujours il y avait dans leur regard une franchise, une sincérité qui