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sans faire de bruit. Jamais encore elle n’avait pris tant d’intérêt à tout ce qu’il faisait ; ses moindres actes avaient à ses yeux une signification. Lorsqu’il était parti, elle parcourait les journaux qu’il avait lus, elle feuilletait ses livres.

Elle commence à soupçonner l’amour, à se dire qu’elle pourrait aimer son mari. Maintenant qu’elle prend si peu de place dans ses pensées qu’il peut passer des heures à s’entretenir avec des paysans qui sentent horriblement le cuir de Russie, tandis qu’il n’a pas une parole pour elle, — maintenant qu’elle peut rester à côté de lui des soirées entières sans qu’il daigne lever les yeux de son livre, — qu’il peut la quitter le soir sans l’embrasser, — maintenant elle a soif de son amour ! Elle imagine des négligés coquets, elle veut à tout prix fixer son attention ; elle se jure qu’il l’aimera ! Rien n’y fait. Il lui reste un dernier moyen : le rendre jaloux. ― Mais où trouver celui qui pourrait exciter la jalousie de cet homme si froid, si sûr de lui ? Elle cherche autour d’elle et ne trouve point.

Un soir, elle aperçut Mihaël debout devant la haie du jardin ; il regardait avec tristesse le soleil qui disparaissait derrière les bois, et dont les derniers rayons doraient les pointes des herbes échappées à la faux et les feuilles mobiles des arbres. Soudain elle lui jeta un bras autour du cou, et s’empara de sa main, qui aussitôt, de chaude qu’elle était, devint toute froide.

― Pourquoi n’es-tu pas avec moi ? dit-elle avec abandon. Tu me fuis. Est-ce que je te déplais comme