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― Je le pourrais, répondit-elle tristement ; mais Olga ne le permet pas…

Je frissonnai.

― Un paysan traverse la passerelle de l’autre côté de la forêt, s’écria-t-elle subitement avec vivacité ; il va tendre des lacets à mes merles, le scélérat !

― Veux-tu continuer ? lui dis-je après une pause assez longue.

― Je veux bien. Ici tout s’éclaircit devant mes yeux, et ma langue se délie.

― Mais comment peux-tu raconter avec cette précision, sans oublier le moindre détail, à la fois attentive et indifférente, comme s’il n’était point question de toi ?

Elle hocha la tête et sourit. ― Puisqu’il ne s’agit pas de moi, dit-elle ; c’est d’Olga que je parle. Je la vois comme je vois les autres personnes, et j’assiste aux événements comme s’ils arrivaient sous mes yeux. L’espace, le temps, ont disparu pour moi : passé, avenir, se mêlent au présent. Quand je vois Olga enfoncée dans ses coussins et absorbée par un roman français, je vois en même temps son haleine ébouriffer la martre de sa jaquette, la mouche qui bourdonne sur sa tête et l’araignée qui guette la mouche…

Elle s’appuyait au pied-droit de la fenêtre, les bras croisés derrière la tête. ― Faut-il raconter ? dit-elle.

― Je t’en prie.

― C’est si triste, ce que je vois maintenant. Olga