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Le troisième personnage était un officier de hussards, aux cheveux clair-semés, à la moustache noire et roide. Il semblait là en quartier, et s’était mis à son aise : il avait ôté sa cravate et déboutonné son veston d’été aux parements déteints. Il jouait avec un sérieux impassible ; seulement, lorsqu’il perdait, il tirait de formidables bouffées, et sa main droite battait le rappel sur la table. On m’invita à prendre part au jeu ; je m’excusai, prétextant ma fatigue. Bientôt on nous apporta des viandes froides et du vin.

La barina revint, prit place dans un petit fauteuil brun que le Cosaque roula dans la salle, et alluma une cigarette. Elle trempa ses lèvres dans mon verre, et me l’offrit avec un sourire engageant. Nous causâmes ; je lui parlai de la sonate qu’elle venait de jouer avec tant d’expression, du dernier roman de Tourguénef, de la troupe russe qui avait donné quelques représentations à Kolomea, de la récolte, des élections communales, de nos paysans qui commencent à boire du café, de l’augmentation du nombre des charrues dans le village depuis l’abolition de la corvée. Elle se prit à rire et se retourna sur son fauteuil. La lune l’éclairait en plein. Tout à coup elle se tut, ferma les yeux ; au bout de quelques minutes, elle se plaignit d’un accès de migraine, et se retira. Je sifflai mon chien, et pris congé de mon hôte.

Le Cosaque me fit traverser la cour. Après quelques pas, il s’arrêta, et se mit à regarder la lune avec un sourire niais. ― Quelle puissance ça vous