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— Je me rappelle encore le jour où vous êtes revenu pour la première fois au village en congé, dit Kolanko. La veste blanche à parements bleus vous allait diablement bien ; les femmes vous suivaient des yeux et chuchotaient… Mais ce Balaban ne se souciait pas des femmes !

— Vous savez, monsieur, dit le capitulant en s’adressant à moi, qu’en ce temps-là nos soldats pleuraient lorsqu’ils partaient en congé. Au régiment, on les avait habitués à l’ordre, à la justice, au point d’honneur ; à la maison, ils retrouvaient la servitude, la robot, l’arbitraire. Le jour de la distribution des congés, personne ne répondit à l’appel ; moi seul, je ne sais ce qui me prit, je sortis des rangs : tout le monde me regarda. Enfin je partis donc pour mon village.

Lorsque j’entrai chez mon père avec mon manteau gris et mon bonnet de police, il leva les yeux et approcha sa main tremblante de ses cheveux de neige. Je lui baisai la main.

— Je suis content que tu sois venu, me dit-il.

Puis vint la mère, qui poussa un cri, riant et pleurant tout à la fois. Je leur parlai du régiment et des pays où j’avais été en garnison ; ils me donnèrent des nouvelles du village. Les voisins arrivèrent ; on but beaucoup d’eau-de-vie ce jour-là.

Tout m’était indifférent ; je me promenais comme un homme malade. Personne ne me dit rien ; de mon côté je n’osais pas questionner. Ce silence me disait que le comte devait avoir chassé Catherine ; en tout cas, il ne tarderait pas à le faire. Je le souhai-