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— Certes je suis bonne ; je ne veux pas que tu meures à cause de moi. — Elle me saisit par le cou et m’embrassa doucement sur les yeux, qui étaient gonflés de larmes.

À ce moment, son père rentra ; il nous regarda, déposa son fléau dans un coin. J’échangeai avec lui quelques paroles de politesse, et je sortis. La soirée était belle, les étoiles brillaient au ciel ; Catherine marchait à mes côtés silencieuse. À la fin, je doublai le pas : elle resta en arrière ; je me mis à siffler, mais ce n’était pas de bon cœur.

Tout ceci se passa longtemps avant 1848 ; les servitudes et la corvée existaient encore, et le paysan souffrait beaucoup des caprices du seigneur. Il arriva une fois que je fus chargé de conduire une voiture de sel, et le voyage me prit plusieurs jours. C’était contraire à la patente impériale[1], contraire à tout droit : je ne l’ignorais pas ; cependant je me soumis, et j’eus tort. Ce fut mon malheur, l’origine de mes maux. On ne doit rien faire par faiblesse ; celui qui cède malgré sa raison, en dépit de sa volonté, de ses sentimens, devient insouciant de son devoir, n’est plus bon à rien. Dieu soit loué ! je me suis corrigé à temps. Il faut faire son devoir : tout est là.

— Mais qu’est-ce donc que tu aurais voulu faire ? dit d’un ton maussade l’homme de carton en haussant les épaules.

  1. Patente de Joseph II sur la robot, qui restreignit beaucoup les droits seigneuriaux.