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Depuis quelque temps déjà je sentais que Catherine n’était plus la même ; elle le prenait sur un ton un peu haut. Un soir, je conduis mes chevaux à l’abreuvoir, là-bas, vous savez, près du puits, derrière les saules. Elle se fit attendre ; c’était la première fois que cela lui arrivait. Puis tout à coup je la vois traverser la prairie, gentille comme une bergeronnette, balançant les cruches sur ses épaules, et fredonnant une chanson frivole[1] :

Ce n’est point pour prier que je vais à l’église,
Je n’y vais, s’il vous plaît, que pour voir mon amant ;
Aux pieds du saint patron modestement assise,
Je regarde le pope une fois seulement,
Et trois fois mon amant.

Elle chantait d’une voix franche, faisait des trilles comme une alouette, et moi, j’eus le cœur gros. Je l’embrasse, je lui parle sans amertume ; elle ne trouve pas une bonne parole à me donner. Elle se dépêche de remplir ses cruches, je les lui présente, et elle les accroche à sa perche, puis les dépose de nouveau à terre.

— Bah ! dit-elle enfin en jouant avec le bout du pied dans l’eau, autant que tu le saches tout de suite ! Le seigneur me fait la cour.

— Le seigneur du village ? — Je me sentis pâlir.

Elle inclina légèrement la tête. — Il m’appelle sa petite Kassya, il me prend la taille… et une fois il m’a déjà embrassée…

La colère me saisit ; je frappai du pied.

— Ne me battez pas ! s’écria-t-elle. Il me promet

  1. Chanson populaire du pays des Houçoules.