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Elle reparut, se couvrant la figure avec son bras et riant de bon cœur, la friponne. Ah ! ce bec mignon, et ces dents, du corail blanc !

— Vous venez de la foire, Balaban ? me dit-elle d’un petit air timide.

— C’est la vérité, Catherine.

— Ah ! si je pouvais courir le monde comme vous ?

— Et où iriez-vous bien, Catherine ?

— Mais à la foire donc ! Et je verrais toutes les villes, et la mer Noire, et tout d’abord Kolomea, dit-elle.

— Vous n’avez pas encore été à Kolomea ?

— Jamais.

— Jamais ?

— Je n’ai encore vu aucune ville, continua-t-elle, et elle me regardait maintenant en face. Est-il vrai qu’on y voit des deux et trois maisons posées les unes sur les autres, que les nobles s’y font voiturer dans des boîtes à quatre roues, qu’il y a une maison toute remplie de soldats ?

Je lui expliquai tout cela, et elle me fit une foule de questions bien plaisantes, Dieu sait ! La pauvre fille ne connaissait rien alors. Je ne pus m’empêcher de rire de ses drôleries : ça l’effraya ; elle cacha de nouveau sa tête sous son bras comme une poulette. Le soleil se couchait à ce moment ; je revois tout cela comme si c’était d’aujourd’hui, la route, la clôture et la jolie fille. Le ciel était tendu derrière elle comme un immense drap couleur de feu dont l’éclat me faisait baisser les yeux, et je restais là,