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et il lui était entré une épine dans le pied, une longue épine ; elle était assise sur la lisière du bois et pleurait. Comme je vis cette jolie fille tout en larmes, je fus pris de pitié ; je m’arrêtai et lui demandai ce qu’elle avait. Elle ne me répondit pas ; elle n’était occupée qu’à tirer cette épine qu’elle avait dans le pied, et sanglotait de plus belle. Alors je vis ce que c’était ; je m’assis à côté d’elle et lui dis : « Attends, laisse-moi faire ! » Elle cessa de pleurer, m’abandonna son pied de bonne grâce, me regarda seulement en dessous. Ça ne fut pas long, j’eus tout de suite cette épine, et comme je la retirai, elle siffla un petit entre ses dents, puis elle rabattit son foulard sur sa figure, bondit et s’en fut sans me dire merci.

À partir de ce jour, quand elle m’apercevait de loin, elle se sauvait comme devant un monstre ou un haïdamak[1]. Et moi, j’étais content de la rencontrer. Un jour, je reviens de la ville avec ma voiture chargée lourdement, et marchant à côté de mes chevaux ; elle est debout derrière une clôture. Comme je l’aperçois, elle fait le plongeon, et je vois ses yeux noirs briller à travers la claie d’osier comme ceux d’un petit chat.

— Pourquoi te cacher, Kassya[2] ? lui criai-je ; je ne te ferai pas de mal. — En même temps j’arrêtai les chevaux. La fille ne soufflait mot. — Quelle idée as-tu donc, lui dis-je encore, de te sauver ainsi chaque fois ? Je ne cours pas après toi.

  1. Brigand ou plutôt rebelle.
  2. Diminutif de Catherine.