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pierre. Nous courûmes vers l’endroit où il s’était abattu.

— Caïn ! Caïn ! cria une voix qui sortait du fourré, voix d’airain, terrible comme celle du Seigneur s’adressant dans le paradis aux premiers hommes ou plus tard au maudit qui a frappé son frère.

Les branches s’écartèrent. Devant nous se tenait une apparition fantastique, surhumaine.

Un vieillard de taille gigantesque était debout dans le maquis ; autour de sa tête nue flottaient de longs cheveux blancs, une barbe blanche descendait sur sa poitrine, et sous ses épais sourcils de grands yeux sombres s’attachaient sur nous comme ceux d’un juge, d’un vengeur. Son vêtement de bure était tout déchiré et rapiécé, et il portait une gourde en bandoulière ; appuyé sur son bâton, il hochait tristement la tête. Enfin il sortit, ramassa l’aigle mort, dont le sang ruissela sur ses doigts, et le contempla en silence.

Le garde se signa. — C’est un errant ! murmura-t-il d’un ton d’effroi, un saint homme. — Sans ajouter un mot il mit la bretelle de son fusil sur l’épaule et disparut entre les arbres séculaires.

Malgré moi, mon pied prit racine et mes yeux se fixèrent sur le sinistre vieillard. J’avais entendu parler plus d’une fois de cette secte étrange, à laquelle notre peuple a voué une vénération si profonde. Je pouvais maintenant satisfaire ma curiosité.

— Te voilà bien avancé, Caïn ! dit l’errant au bout de quelques minutes en se tournant vers moi. Ta soif de meurtre est-elle assouvie par le sang de ton frère ?