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LA FONTAINE AUX LARMES

— C’est l’eunuque de Kérim Gireïs, lui dit l’hébreu, après que la pelisse verte eût disparu parmi la foule des acheteurs et des vendeurs se pressant en désordre. Nous avons fait plus d’une bonne affaire ensemble. Il y a deux ans, je lui vendis une vierge chrétienne, aux cheveux d’or et aux yeux bleus. Ainsi, il s’est acquis la faveur du Khan, car celui-ci, à qui tout est soumis, est dominé par la belle étrangère et se courbe devant elle ni plus ni moins qu’un esclave.

L’heure s’est écoulée. L’hébreu attache les deux mains du jeune homme sur son dos, lui met un fort lacet autour du cou et le conduit, comme un morceau de bétail qu’on mène à l’abattoir, au Khan-Saraï, à l’extrémité orientale de Bakhtchissaraï Ils traversent le pont jeté sur le ruisseau fangeux de Sourouk-Zou et pénètrent, par la porte gardée par deux tartares armés de lances et de yatagans, dans la cour, au fond de laquelle s’étagent les terrasses fleuries de vignes et parées de la verdure des noyers et des myrthes luxuriants.

Le nègre reçoit son esclave des mains du juif qu’il paye, et lui fait enlever ses chaînes.

— Provisoirement c’est moi que tu sers, dit-il lorsqu’ils se trouvent seuls, jusqu’à ce que le