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LA PANTOUFLE DE SAPHO

Il était donc naturel que, ses fiers sourcils ayant décoché une fois de plus les flèches d’amour dans un cœur, elle fût la dernière à en être informée. On se chuchotait la nouvelle dans les loges, on en parlait dans les fauteuils, on en riait en se poussant du coude, au parterre et aux galeries, alors qu’elle-même ne savait rien encore du noble captif qu’elle avait fait.

En l’année 1859, le public du Burgthéâtre remarqua un jeune homme qui, chaque soir où la Schrœder jouait, occupait le fauteuil du coin de gauche au premier rang, dont le regard, sitôt qu’elle paraissait, s’attachait avec une émotion fiévreuse à tous ses mouvements, et dont l’enthousiasme était si entraînant que, maintes fois, il oubliait les lois du théâtre pour applaudir au milieu d’une scène. Tout Vienne savait depuis longtemps que c’était un prince polonais, colossalement riche et épris d’une délirante passion pour la tragédienne, avant que la Schrœder se doutât seulement de l’existence de cet heureux malheureux.

Un jour qu’elle attendait en scène le commencement du premier acte, Sophie remarqua quelques comédiennes qui examinaient la salle à travers le