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LA PÊCHEUSE D’AMES.

des histoires effrayantes que je ne veux pas entendre, en s’élevant de la terre jusqu’au ciel comme une fumée qui grandit toujours. Il se tient là debout… un géant… il a le soleil sur le devant de la poitrine… non… ce n’est pas le soleil, c’est une blessure d’où jaillit son sang tout chaud… partout du sang… une mer de sang… elle monte… j’étouffe. » Elle parlait en élevant la voix ; enfin, elle cacha son visage avec épouvante contre l’épaule de Dragomira.

« Réconciliez-vous avec Dieu, pendant qu’il en est encore temps.

— Que faut-il faire ? Ma vie entière n’a été que prière, sacrifice, pénitence !

— Il faut vous sacrifier vous-même.

— Moi ?

— Sang pour sang ; donnez votre vie en expiation.

— Non, non ! je ne peux pas ! s’écria Mme Samaky. Je ne veux pas mourir ! »

Dragomira la regarda longtemps, puis se leva tranquillement, prit le petit flacon, en versa le contenu dans un verre et se pencha sur la malade.

« Voici la médecine. »

Mme Samaky se redressa, regarda avec défiance d’abord la liqueur, ensuite Dragomira. Elle eut comme un pressentiment mystérieux.

« Quel est votre dessein ? demanda-t-elle avec inquiétude. Pourquoi dois-je boire ? Qu’est-ce qu’il y a dans ce verre ?

— La médecine.

— Non, c’est du poison !

— Êtes-vous folle ?

— Jeune fille, qui t’a donné cette médecine ? Tu veux me tuer !

— Allons, prenez-la.

— Non, je ne veux pas.

— Il le faut.

— Il le faut ? »

Elle se mit à rire haut d’un rire horrible.

« Qui me forcera ?

— Moi ! »

Dragomira se jeta avec une sorte de fureur farouche sur Mme Samaky. Celle-ci se défendit en désespérée. Ce fut une lutte sauvage et silencieuse. Enfin Dragomira réussit à serrer étroitement les deux bras de la malade et à poser un genou