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LA PÊCHEUSE D’AMES.

« Comment va-t-elle ?

— Bien.

— Alors elle ne mourra pas ?

— Le médecin a bon espoir de la sauver.

— A-t-elle fait le testament ?

— Oui.

— En faveur de la confrérie ?

— Oui. »

L’apôtre inclina légèrement la tête. Au bout de quelques instants il regarda Dragomira de ses yeux bleus, puissants et interrogateurs.

« Ta tâche n’est pas encore accomplie.

— Je le sais, je resterai ici jusqu’à ce qu’elle soit sauvée.

— C’est son âme qu’il importe de sauver. Ne t’a-t-elle fait aucune confidence ?

— Non.

— Il faut mettre tout en œuvre pour lui arracher le secret qu’elle cache si soigneusement. Elle a un lourd péché sur la conscience ; sonde-la, mais sois prudente. Les malades sont toujours défiants.

— Et quand elle aura avoué ?

— Alors, cherche à la convertir.

— Je ferai tous mes efforts, mais si je ne réussissais pas ?

— Alors, vois comment tu pourras, sauver son âme.

— Tu peux avoir pleine confiance en moi.

— Je le sais, c’est pour cela que je t’ai choisie. Dieu t’a destinée à une grande œuvre. Sois seulement courageuse et inflexible.

— Tant que Dieu m’assistera, rien ne m’arrêtera.

— Adieu. »

L’apôtre la bénit et disparut dans l’obscurité des arbres et des buissons qui entouraient la maison de ce côté-là.

Le jour tombait. Au dehors, la brume flottait mystérieusement, et l’épais crépuscule qui remplissait la chambre prenait des formes étranges ; la malade s’agita.

« Vois-tu… là ? s’écria-t-elle tout à coup, en se dressant sur son séant et en étendant son bras décharné.

— Oui… je vois, dit tranquillement Dragomira.

— Est-ce que tes cheveux ne se dressent pas sur ta tête ? s’écria Mme Samaky ; que veut-il ? il me parle…

— Il demande satisfaction.

— Il a raison, car je l’ai fait mourir. J’étais égoïste, dure,