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LA PÊCHEUSE D’AMES.

faire son devoir ; et elle ne se refusait à aucune besogne ; les soins les plus infimes ne lui répugnaient pas ; chaque jour, vers le soir, le médecin venait, et tout ce qu’il prescrivait, Dragomira l’exécutait avec conscience et zèle. Elle ne s’écartait ni jour ni nuit du lit de la malade ; elle ne s’absentait même pas un moment pour prendre sa nourriture ; elle restait là, toujours calme, patiente et de bonne humeur.

C’était la troisième nuit. Mme Samaky, qui depuis bien des heures était en proie au délire de la fièvre, revint tout à coup à elle, regarda autour d’elle avec de grands yeux étonnés, et saisit la main de Dragomira.

« Cela va mal pour moi, murmura-t-elle, dites-moi la vérité.

— Jusqu’à présent le médecin est satisfait de la marche de la maladie.

— Oui…, mais il serait peut-être bon tout de même de faire venir un prêtre.

— Si vous le désirez.

— Je n’ai pas non plus fait encore de testament. L’homme doit être toujours prêt, il ne sait pas quand Dieu l’appellera.

— Si vous voulez, je suis à votre disposition pour écrire ce que vous me dicterez.

— Nous avons encore le temps, ne croyez-vous pas ?

— Certainement.

— Je voudrais bien ne pas mourir. »

Dragomira sourit.

« Pourquoi souriez-vous ?

— Parce que je ne comprends pas comment on peut craindre la mort. Je comprends aussi peu l’amour de la vie qui possède la plupart des hommes. Je donnerais volontiers la mienne pour la vôtre.

— Parce que vous êtes un ange.

— Non, mais parce que j’estime bien plus l’éternité que les quelques jours de la vie d’ici-bas. Tout pas que nous faisons sur cette terre peut nous conduire à notre perte, car partout sont tendus les lacets invisibles du péché.

— C’est vrai ; ce n’est que trop vrai.

— Seule la pénitence peut nous obtenir le pardon ; seule la mort peut nous apporter l’expiation.

— Pourtant vous… Comment, si jeune !… si belle !… vous désirez mourir ?

— Oui, j’aspire à la mort, répondit Dragomira, mais non pas