Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
78
LA PÊCHEUSE D’AMES.

respirait avec une certaine gêne sous la fourrure de sa kazabaïka, et ses mains serraient fortement le cerceau avec lequel elle venait de jouer.

« Je suis bien heureux de faire votre connaissance, » dit le comte.

Anitta jeta un regard craintif du côté de sa mère. Celle-ci avait pris le bras de Glinski et proposait au comte de faire la visite du jardin. Soltyk était tout disposé et il suivit avec les deux jeunes filles la maîtresse de la maison qui avait pris les devants.

« On ne vous a pas encore vue jusqu’à présent, mademoiselle, dit Soltyk reprenant la parole ; vous semblez fuir nos réunions.

— J’étais hier au théâtre, pour la première fois, répondit Anitta, c’était très joli, n’est-ce pas ? J’irai probablement aussi à un bal.

— Ce serait une injustice de la part de vos parents que de vous dérober à nous, continua Soltyk.

— Anitta est encore si jeune ! dit la mère en se mêlant à la conversation, elle a bien le temps de faire connaissance avec le grand monde. Mais j’espère que maintenant vos visites seront moins rares, monsieur le comte.

— Certainement. J’apprécie à sa valeur tout l’honneur de votre aimable permission.

— Ce que vous pouvez faire de mieux, dit le jésuite en s’adressant à Anitta, c’est de proclamer mon cher comte votre Maître de plaisir. Personne n’approche de lui pour arranger des fêtes.

— Vraiment ?

— Je me mets entièrement à votre disposition, mademoiselle. »

Après avoir parcouru le jardin, ils regagnèrent tous ensemble la maison. M. Oginski était encore absent, en vertu d’une combinaison de sa femme, pour que le comte ne fût pas forcé de causer avec lui. Mme Oginska proposa une partie de dominos au jésuite, et pria Livia de se mettre au piano. Soltyk resta ainsi seul avec Anitta dans un coin à moitié sombre. Il fit des efforts inutiles pour l’amener à parler ; à côté de lui elle se sentait gênée et intimidée, et ne fut vraiment à son aise qu’au moment où il partit.

« Elle est merveilleusement jolie, dit Soltyk, lorsqu’il se te trouva dans la voiture à côté du jésuite, mais elle est encore remarquablement timide, pour ne pas dire peureuse.